Gamou ou Mawlid : origine, histoire et héritage de Seydi El Hadj Malick Sy
Chaque année, à l’approche du 12e jour du mois de Rabi‘ al-Awwal, les rues de Tivaouane, les mosquées, les maisons et les places publiques du Sénégal vibrent au rythme des récitations de poèmes religieux, de sermons, de chants d’amour et d’éloges consacrés à Seyyidina Muhammad (PSL). Ce moment unique est appelé Gamou, du mot arabe Mawlid, qui signifie « naissance ».
Mais au-delà de la simple commémoration, le Gamou est un événement spirituel majeur, particulièrement dans la tradition islamique sénégalaise, porté et ancré dans les cœurs par un homme : Seydi El Hadj Malick Sy.
L’origine du Mawlid dans le monde musulman
Le Mawlid an-Nabi trouve ses racines dans les premiers siècles de l’islam, même si cette célébration n’était pas pratiquée du vivant du Prophète. Ce sont les musulmans de l’époque abbasside, et plus tard ceux des dynasties fatimides en Égypte, qui ont commencé à organiser des événements pour honorer la naissance du Prophète Muhammad (PSL). Ces événements prenaient souvent la forme de lectures de la Sira (biographie du Prophète), de poèmes, de conférences religieuses et de distributions de nourriture.
Ce n’est donc pas une innovation dans la foi (bid‘a blâmable), mais bien une innovation bénéfique (bid‘a hassana), selon de nombreux savants sunnites, car elle vise à raviver l’amour du Prophète et la connaissance de son message.
Seydi El Hadj Malick Sy : le pionnier du Gamou au Sénégal
C’est au début du XXe siècle, dans la ville de Tivaouane, que le Mawlid prend une dimension nouvelle en Afrique de l’Ouest, grâce à Seydi El Hadj Malick Sy (1853-1922), grand érudit, soufi, poète, et maître spirituel de la Tariqa Tijaniyya.
Arrivé à Tivaouane en 1902, El Hadj Malick Sy y établit un centre de savoir et de spiritualité. Convaincu que l'amour du Prophète Muhammad (PSL) est le fondement de toute élévation spirituelle, il institue de façon publique et organisée la célébration annuelle du Mawlid, qu’il appelle le Gamou, dans un format ouvert, populaire, et profondément ancré dans l'éducation islamique.
Il ne s’agissait pas seulement de fêter une naissance, mais de vivre un moment de renforcement de la foi, de rappel, de transmission du savoir religieux et de réforme morale. À travers ses enseignements, ses prêches et surtout ses ouvrages, comme Khilaçu ez-Zahab, Zahratoul Anfâs ou encore ses innombrables qasidas en arabe, il a donné au Mawlid une structure solide, à la fois spirituelle et intellectuelle.
Pourquoi El Hadj Malick Sy a institué le Gamou ?
Seydi Hadj Malick Sy considérait que la dévotion au Prophète était le moteur de la spiritualité soufie. En instituant le Mawlid à Tivaouane, il poursuivait plusieurs objectifs :
Faire aimer le Prophète aux générations futures, à travers la poésie, le récit de sa vie, et l’invocation de son nom.
Éduquer les masses dans un contexte colonial, où l’islam était menacé de dilution ou d’incompréhension.
Rassembler la communauté musulmane dans un moment d’unité, de paix, de solidarité et de réflexion collective.
Ancrer l’islam sénégalais dans une tradition sunnite, soufie et malékite, mais ouverte, accessible et joyeuse.
Le Gamou de Tivaouane : un legs vivant
Aujourd’hui, plus d’un siècle après sa fondation, le Gamou de Tivaouane est devenu une institution religieuse nationale, et même internationale. Des millions de fidèles se rendent chaque année dans la cité religieuse pour assister aux conférences, récitations de qasidas, lectures de la biographie prophétique, veillées spirituelles (thiant), et autres manifestations religieuses.
C’est également un moment de communion intergénérationnelle, où les jeunes apprennent des anciens, où l’amour du Prophète se transmet dans une atmosphère de piété, de joie et de ferveur.
La cérémonie est marquée par les discours des guides religieux, notamment ceux de la famille Sy (descendants d’El Hadj Malick), qui perpétuent son œuvre. Ils y rappellent les enseignements du Prophète sur la justice, la paix, l'humilité, la fraternité, et l'importance de l'unité musulmane.
Un message toujours actuel
Dans un monde troublé par les divisions, les conflits, la perte de repères et le matérialisme, le Gamou apparaît comme un rappel salutaire : l’amour du Prophète, sa sagesse et son exemple peuvent encore inspirer les cœurs, apaiser les tensions, et guider les hommes vers le bien.
Seydi El Hadj Malick Sy disait :
« L'amour du Prophète est la lumière qui éclaire le chemin de celui qui cherche Dieu. »
Conclusion : un héritage sacré à préserver
Le Gamou n’est pas une simple tradition folklorique. C’est un acte d’amour, de foi et de transmission, porté par un héritage spirituel immense, celui de Seydi El Hadj Malick Sy. En comprenant l'origine et le sens profond du Mawlid, nous mesurons l'importance de perpétuer cette tradition avec sincérité, respect et ferveur.
À travers chaque vers de qasida, chaque mot de la sira, chaque invocation prononcée, c’est une lumière prophétique qui continue de briller dans les cœurs, guidant les générations présentes et futures.