1. Introduction
Dans la tradition islamique, certaines sciences connexes au Coran et à la langue arabe se sont développées au fil des siècles. Parmi elles, la science des lettres (ʿilm al-ḥurūf) et la valeur numérique des lettres (abjad) occupent une place particulière dans l’histoire intellectuelle du monde musulman.
Bien que ces pratiques n’appartiennent pas au cœur de la foi islamique, elles ont été utilisées dans divers contextes : calculs de dates, poésie, codage, et parfois réflexions mystiques.
2. L’origine du système Abjad
Le système Abjad attribue à chaque lettre de l’alphabet arabe une valeur numérique. Ce principe existait déjà chez les anciens peuples sémitiques (araméens, hébreux) et a été adapté par les Arabes avant et après l’avènement de l’islam.
Les 28 lettres arabes sont ainsi réparties selon l’ordre traditionnel Abjad Hawwaz :
| Lettre | Nom | Valeur |
|---|---|---|
| ا | Alif | 1 |
| ب | Ba | 2 |
| ج | Jim | 3 |
| د | Dal | 4 |
| هـ | Ha | 5 |
| و | Waw | 6 |
| ز | Zay | 7 |
| ح | Ha’ | 8 |
| ط | Ta | 9 |
| ي | Ya | 10 |
| ... | ... | ... |
3. Usages historiques
Historiquement, les musulmans ont utilisé le poids numérique des lettres pour :
3.1. Datation
On composait des phrases ou poèmes où la somme des valeurs numériques des lettres donnait une date précise.
Exemple : une inscription de mosquée pouvait indiquer l’année de construction de manière codée.
3.2. Cryptographie et correspondances
Dans les échanges officiels ou militaires, certaines lettres étaient remplacées par leurs valeurs chiffrées pour brouiller la lecture.
3.3. Réflexions mystiques
Certains savants soufis ont interprété des valeurs numériques dans les versets coraniques pour en tirer des significations symboliques. Toutefois, ces interprétations restent personnelles et ne constituent pas un fondement juridique ou dogmatique.
4. Position des savants
Les savants musulmans ont émis des avis variés :
Autorisé pour les usages pratiques (datation, codage, poésie).
Déconseillé ou interdit lorsqu’il est utilisé pour prétendre à la prédiction de l’avenir ou à des significations religieuses sans preuve.
Ibn Khaldoun, par exemple, mentionne que l’ʿilm al-ḥurūf est une science ancienne mais qu’il faut en rester prudent dans l’usage.
5. Exemple concret de calcul
Prenons le mot محمد (Muhammad) :
م (40) + ح (8) + م (40) + د (4) = 92
Certains auteurs ont utilisé ce chiffre 92 dans la poésie ou les arts comme symbole du Prophète ﷺ.
6. Conclusion
Le système des lettres et de leur poids numérique est une partie fascinante du patrimoine linguistique et culturel du monde islamique. Bien qu’il ne fasse pas partie des obligations religieuses, il illustre la richesse des interactions entre langue, histoire et pensée.
Son utilisation doit rester dans les limites permises, en évitant toute dérive vers des pratiques superstitieuses.